OPENEYE : Nathalie Heinich, vous avez écrit un petit livre illustré par le dessinateur Benoît Feroumont sur l’art contemporain relatant l’expérience de trois jeunes étudiants dans une école des Beaux-arts. Le premier deviendra peintre, le deuxième concepteur local alors que le troisième aura une carrière à l’international. Vous proposez ainsi des clés pour comprendre facilement l’art contemporain dans lequel la photographie plasticienne tient aujourd’hui une grande place. Ce livre est-il destiné avant tout aux étudiants qui ont choisi cette filière ou vous adressez-vous plus particulièrement à un public cultivé mais un peu déboussolé par l’hermétisme apparent de cette nouvelle démarche ?
Nathalie Heinich : Cette bande dessinée est, bien sûr, un ouvrage de vulgarisation, et à ce titre il s’adresse à tout le monde, depuis l’aspirant-artiste jusqu’à l’amateur plus ou moins éclairé. Et même ceux qui font partie du monde de l’art contemporain, et donc le connaissent bien, devraient y trouver matière à réflexion, car on peut avoir la maîtrise pratique d’un domaine et ne pas en comprendre pour autant les propriétés fondamentales, les structures, les modes d’emploi implicites.
Ce sont ces structures sous-jacentes au monde de l’art contemporain que j’ai essayé d’expliciter, à travers une fiction mettant en scène trois façons très différentes de devenir, aujourd’hui, un artiste contemporain, sans suggérer qu’aucune des trois ne serait supérieure aux autres.
OPENEYE : on a l’impression, en vous lisant, qu’une fuite en avant s’est engagée dans le monde artistique depuis les années 80-90 pour représenter l’avant-garde. Cette tendance, qui perdure encore actuellement, peut-elle s’inverser ?
Nathalie Heinich : Le monde de l’art a longtemps été clivé entre « progressistes » et « conservateurs », parmi lesquels se situaient, sauf quelques rares exceptions, les intermédiaires issus du secteur public, tels que conservateurs de musée, responsables d’institutions, universitaires… À partir des années 1980, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, les pouvoirs publics ont investi « l’avant-garde », en l’occurrence l’art contemporain, au détriment de l’art moderne, d’où une « querelle de l’art contemporain » virulente, et qui dure encore, notamment à travers l’accusation faite à ces intermédiaires de délaisser la peinture…