Les Rencontres d’Arles 2020 ont été annulées, plongeant les acteurs de la Culture et de l’Art, de la photographie, institutions et galeristes dans un profond désarroi. A l’initiative de Nicolas Havette, directeur artistique de la Fondation Manuel Rivera-Ortiz et avec le soutien de l’association Art Contemporain présidée par Isabelle Aubin, galeries, institutions et artistes ont décidé de faire vivre la photographie à Arles cet été, dans un esprit de liberté, renouant peut-être avec les débuts des Rencontres d’Arles il y a 50 ans.
Nous les avons interviewés le 26 juin dernier.
« il faut à un moment tous se regrouper, parler d’une seule voix et dire que, même s’il n’y a pas les Rencontres, Arles est extrêmement active. »
OPENEYE : Quelle est l’origine du projet « Arles Contemporain, été 2020 » ?
Isabelle Aubin : « Nous avions mis en place un réseau de galeries depuis 2015 au sein d’Arles. Cette année, en janvier 2020, j’ai décidé, avec le bureau de l’association, d’élargir l’association à des projets d’art contemporain qui pourraient reposer sur d’autres structures que les galeries, institutions et musées, le tout porté par un nouveau site Internet. L’un des objectifs : apporter une plus grande visibilité à l’association. En mars, les travaux sur les nouveaux statuts de l’association ont été interrompus par la COVID19. Tout s’est assoupi. Puis Nicolas Havette, directeur artistique de la fondation Manuel Rivera-Ortiz, est venu frapper à la porte de l’association pour nous demander si la structure pouvait porter un ensemble d’initiatives qui émergeaient depuis quelque temps, pendant le confinement. Plusieurs galeries, des artistes étaient venues lui demander s’il était possible d’organiser quelque chose sur Arles après l’annulation des Rencontres d’Arles. L’association Arles Contemporain a immédiatement adhéré à la proposition de Nicolas Havette et l’opération a été lancée alors même que les mesures de déconfinement ne sont pas encore annoncées. »
Nicolas Havette :« Quand Sam Stourdzé a annoncé l’annulation des Rencontres d’Arles, en sachant très bien qu’une grande partie de l’économie de la ville est basée sur la Culture et les visiteurs de l’été, je me suis dit que cet outil qu’est l’association « Arles Contemporain » est la structure nécessaire dans ces temps de crise, où il faut à un moment tous se regrouper, parler d’une seule voix et dire que, même s’il n’y a pas les Rencontres, Arles est extrêmement active. Cela fait plus de 50 ans que la ville investit énormément sur la Culture et finalement cela a réussi à créer un maillage territorial extrêmement dense pour une petite ville. Suite à l’énergie impulsée dans le cadre de « on va tous se réunir ensemble pour montrer ce que l’on sait faire, même s’il n’y a pas les grands », nous avons réussi en 3 semaines à réunir 65 lieux différents, ce qui est énorme pour une ville de 50 000 habitants sur l’ensemble de son territoire. Le mérite de l’association « Arles Contemporain » est de créer la plateforme pour que tout le monde puisse parler d’une seule voix, mais au final on bénéficie de 50 ans d’investissement politique de dire que la création est au cœur de la ville. »
« Tout le monde avait envie d’y aller, avait envie de montrer des œuvres, de partager l’été à Arles »
« Comme disait Isabelle Aubin, j’ai « fracturé » la porte d’Arles Contemporain, et une fois qu’avec l’association nous avons allumé l’étincelle de ce projet, cela a provoqué un feu de paille. L’association Arles Contemporain a un historique. Les galeries et les lieux permanents d’Arles avaient déjà envie de travailler ensemble depuis la création de l’association en 2013. Tout le monde avait envie d’y aller, avait envie de montrer des œuvres, de partager l’été à Arles. A partir du moment où nous avons commencé à communiquer avec Arles Contemporain, en disant « on est reparti, on rouvre le site Internet, on fédère l’ensemble des initiatives des lieux d’expositions à Arles cet été », cela s’est passé très vite. C’est ce que l’on appelle « radio Arènes » : tout le monde se connait, il n’y a pas eu de grands appels, on a commencé à en parler et tout de suite cela a marché. »
Isabelle Aubin : « Nicolas Havette a organisé une réunion où il a réussi à faire venir beaucoup d’acteurs, commerçants, hôteliers qui ont contribué à accélérer le projet. Par exemple, les hôtels offrent des nuitées aux artistes qui vont se rendre à Arles pour exposer. Ce maillage économique est très actif pour qu’Arles vive cet été, c’est impératif pour eux. »
OPENEYE : Face à l’annulation des 51ème Rencontres d’Arles, comment cette initiative va être perçue par les habitués des Rencontres d’Arles et plus largement par le public amateur d’art photographique contemporain ? Quelle est la force de « Arles Contemporain, été 2020 » pour séduire et attirer le public pendant ces deux mois d’été ?
Isabelle Aubin : « Nous ne remplaçons sûrement pas les Rencontres d’Arles. Nous sommes très tristes de ce qui se passe. Simplement nous avons peut-être une agilité que n’ont pas les grosses structures. Nous sommes très tristes. Nous sommes mobilisés car il faut qu’Arles vive. »
« C’est comme si on ouvrait une petite porte le temps d’un été, pour voir ce qui peut se passer quand on laisse essaimer des graines en toute liberté dans un champs »
Nicolas Havette : « Je pense que c’est la première fois où dans une même programmation, nous pouvons avoir l’Atelier d’artistes, qui est fermé à l’année normalement et qui du coup ouvre au public, avec la Fondation Luma, avec le musée Réattu. Quand on regarde le site Internet « d’Arles Contemporain, été 2020 », on voit bien que cet été photographique à Arles balaye l’ensemble des types d’acteurs dans les expositions proposées. Quand on dit « les Rencontres d’Arles n’ont pas lieu », cela laisse une place à quelque-chose de complétement expérimental. Il n’y a pas de réelle direction artistique. Arles Contemporain n’est pas basé sur une volonté de diriger. Nous sommes plus dans une fédération que dans l’idée d’être leader. Le temps d’un été, il va fleurir des choses qui peut-être ne pourront pas avoir une telle liberté dans les années qui arrivent. C’est comme si on ouvrait une petite porte le temps d’un été, pour voir ce qui peut se passer quand on laisse essaimer des graines en toute liberté dans un champs : nous n’allons pas faire de la monoculture. Comme pour les plans quinquennaux, cette année il y a une jachère. Quelles sont les « mauvaises herbes » qui pousseront pendant la jachère ? Certainement qu’il y fleurira de très jolis coquelicots ! On va laisser pousser les choses et je pense que pour les Rencontres d’Arles, pour la ville, c’est très intéressant. »
OPENEYE : Si on ne peut pas parler véritablement de programmation, comment se sont mis en place ces différents événements et expositions ?
Nicolas Havette : « Comme je l’indiquais, la structuration qui a accompagné ce qui se passe cet été est vraiment une structuration de fédération et non pas de direction artistique. En tant que coordinateur. Nous avons fait en sorte que tous les gens qui ont des expositions cet été soient au courant de notre initiative et soient présentés. En gros, « si vous avez une adresse d’exposition, une date de début et une date de fin, des visuels, une bio, un texte explicatif en français et en anglais, on vous inclue dans notre programme ». Ce qui nécessite un minimum de professionnalisme pour répondre à l’ensemble de ces points. A partir d’une fiche informative envoyée à tous les acteurs, s’ils étaient en mesure de répondre à toutes ses questions, ils étaient inclus à la programmation générale d’Arles Contemporain. Nous avons créé une plateforme de communication et de promotion. La structuration va du bas vers le haut que du haut vers le bas. »
« 67 lieux différents pour environ 130 expositions qui réunissent à peu-près 450 artistes. »
OPENEYE : Quelles sont les initiatives qui ont été prises pour accueillir artistes en résidence et ateliers cet été ? Comment se sont organisés institutions et galeries pour permettre la rencontre entre artistes et public ?
Nicolas Havette : « Je pense que ce qui se passe à la fondation Manuel Rivera-Ortiz avec ACT, le collectif temporaire qui y a été créé, est une initiative unique cet été à Arles. Il n’y a pas d’autres collectifs ou d’autres réunions d’artistes, que ce soit locaux ou extérieurs, qui se sont formés dans les semaines qui viennent de se passer. Pour moi, cela a été vraiment une réaction : Ok, on ne peut pas faire les expositions comme on veut à la Fondation. Libérons un grand espace et faisons-en sorte qu’il y est une visibilité pour les artistes, artistes qui vont vraiment en baver dans les mois et les années qui arrivent. Je pense vraiment qu’Arles Contemporain existe, il y a des gens qui étaient en équilibre sur la décision de faire ou ne pas faire quelque chose cet été. Beaucoup de gens étaient dans l’expectative. Le fait que cette énergie arrive, ils se sont dit, ok on y va. Et cela est valable au moins pour une dizaine de lieux sur les soixante cinq lieux participants sur la plateforme. Cela a été un révélateur : l’énergie est là, vous ne serez pas tout seul, allons-y ensemble ! ».
OPENEYE : le festival OFF comptait l’année dernière environ 230 expositions, avez-vous une idée du nombre d’expositions proposées cet été ?
Nicolas Havette : « Aujourd’hui 26 juin, nous avons 67 lieux différents pour environ 130 expositions qui réunissent à peu-près 450 artistes. »
OPENEYE : Par rapport aux programmations initiales des Rencontres d’Arles, des expositions ou évènements ont-ils pu être programmés néanmoins cet été ?
Nicolas Havette : « Non, rien de physique en tout cas. Les Rencontres d’Arles ont mis en place des choses Online, mais à ma connaissance aujourd’hui, dans le cadre d’Arles Contemporain et des gens qui se sont manifestés et sur lesquels nous communiquons, avec à peu près tout le monde aujourd’hui, il n’y a aucune exposition originellement prévue par le festival des Rencontres d’Arles qui continue à être présentée cet été. »
OPENEYE : Quel impact a eu l’annulation des Rencontres d’Arles sur des initiatives programmées au printemps ou à l’été 2020 par les galeries d’Arles, notamment l’inauguration de nouveaux espaces ou évènements ?
Nicolas Havette : « Des galeries vont ouvrir cet été, comme la galerie de la maison Volver ou la librairie du Palais, qui abrite un collectif d’artistes avec un très bel espace d’exposition. Vingt-deux galeries permanentes Arlésiennes, ouvertes à l’année, participent à cet été d’Art Contemporain 2020 un peu particulier. Je viens d’en citer deux, mais je pense qu’il y en a d’autres. »
Isabelle Aubin : « La Maison Volver venait d’acquérir un espace avant le confinement. Ils étaient désespérés. Le fait de lancer « Art Contemporain » a permis à la Maison Volver de récupérer des expositions qui devaient être dans le Off des Rencontres d’Arles et de les exposer. »
« Arles Contemporain », c’est la proposition, dans un même programme, d’une multitude d’expériences de ce qu’est la photographie contemporaine aujourd’hui. »
OPENEYE : Que vont pouvoir découvrir les visiteurs à Arles cet été ?
Nicolas Havette : « Il faut que les gens comprennent que si jamais ils viennent à Arles cet été, [et il faut qu’ils viennent], ils vont pouvoir autant rentrer dans un lieu d’artiste qui fait 20 m² et parler directement avec eux que d’aller voir la Fondation Vincent van Gogh, qui a une très belle exposition, le musée Réattu qui fait un accrochage complétement incroyable, de très haute qualité, et embrasser en une journée ou sur une semaine, tous les types de rapports que l’on peut avoir avec l’exposition photographique, que ce soit une exposition institutionnelle très forte ou les expositions qui fleurissent sur les murs dans la rue. Nous relayons également le projet « Images perdues » où Jean Baptiste Mondino, Sarah Moon, notamment, exposent leurs photographies collées dans la rue, comme si c’étaient les Rencontres d’Arles il y a cinquante ans. « Arles Contemporain », c’est la proposition, dans un même programme, d’une multitude d’expériences de ce qu’est la photographie contemporaine aujourd’hui. »
OPENEYE : La période de confinement qui vient de s’achever, qui a été également traumatique pour Arles comme pour tous les lieux d’Art et de Culture et les artistes, est-elle l’objet d’une exposition particulière ?
Nicolas Havette : « Il y a une exposition intitulée « 1 mètre » à la librairie du Palais, exposition collective qui présente notamment des travaux des élèves de l’École Nationale Supérieure de la Photographie qui ont créé spécifiquement une exposition sur la distanciation de 1 mètre. Au sein de ACT, à la fondation Manuel Rivera-Ortiz, il y a tout le travail qui a été réalisé pendant le confinement par Jonathan Pierredon, qui a répondu à l’appel à bénévoles pendant le COVID et s’est proposé, à l’hôpital et au sein du regroupement des acteurs de la santé d’Arles, de réaliser leur communication sur Internet à propos de leurs besoins matériels et humains. Dans ce cadre, il a eu accès à tous les lieux COVID, hôpital, lieux médicaux sur le territoire et il en sort une exposition dans le cadre de ACT. Au moment où nous parlons, il y a encore des lieux qui vont s’ajouter. »
OPENEYE : Comment voyez-vous les Rencontres d’Arles 2020 ?
Nicolas Havette : « Pour le moment nous sommes focus sur la coordination de cet été d’expositions 2020, à fixer la roue du vélo plutôt que regarder l’horizon. ».
A découvrir, la programmation
d’Arles Contemporain, été 2020
Interview téléphonique réalisée par Eric Dubois-Geoffroy, OPENEYE, le Regard d’aujourd’hui sur la photographie.
Isabelle Aubin : présidente depuis 2015 de l’association Arles Contemporain.
Nicolas Havette : Directeur artistique de la fondation Manuel Rivera-Ortiz depuis 2015. Auparavant il était directeur artistique de la galerie « Le Magasin de jouets » à Arles.