« On s’était dépensé en vaines subtilités pour décider si la photographie devait être ou non un art, mais on ne s’était pas demandé si cette invention même ne transformait pas le caractère général de l’art «
Walter Benjamin
Lorsque Walter Benjamin émet cette remarque dans son célèbre essai L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, rédigé en 1935 et publié de façon posthume en 1955, il ignore encore qu’il a mis le doigt sur l’une des plus intéressantes hypothèses concernant l’art en général et la photographie en particulier, hypothèse qui ne commencera à être vérifiée que plusieurs dizaines d’années plus tard.
Chargée dès sa naissance de reproduire la réalité, libérant ainsi la peinture de ce lourd fardeau, la photographie n’aura de cesse de se faire accepter comme un art à part entière. Car au départ, les photographes sont plutôt hantés par l’idée de « rendre le monde intelligible ». Donc ils considèrent la photographie comme un outil à reproduire du réel.
Cette idée va perdurer très longtemps.
Bien vite les artistes qui veulent faire reconnaître la photographie en tant qu’art (c’est-à-dire jouissant du même statut que la peinture ou la sculpture) se heurtent à un mur de dédain et même un Baudelaire dira d’elle : « La photographie doit rester l’humble servante de la peinture ». Il est vrai que des impressionnistes comme Degas l’utilisent à cet effet, car le temps de pose des modèles en est énormément raccourci.
Avec l’aide des Symbolistes, vers 1880, la photographie commence à représenter des visions oniriques, cherchant à retrouver du sens et à sortir de l’illustration où l’on cherche à la cantonner. Cette démarche aboutira au Pictorialisme entre 1890 et 1914 ; pour y parvenir, les photographes incluront dans leur travail des techniques inspirées des peintres : clair-obscur, procédé au charbon, gomme bichromatée, flou… impliquant dans leurs travaux l’œil et la main, comme le peintre dans son atelier.
Depuis lors la photographie n’a cessé d’évoluer, en flirtant au passage avec presque tous les mouvements artistiques du XXe siècle. Ce sont pourtant les Conceptuels – dans les années 60/70 – qui, suite à une réflexion critique visant à combattre le modèle moderniste et surtout son culte de « l’originalité de l’œuvre d’art », la hissent malgré eux au rang d’art, enfin reconnu par l’intelligencia des institutions, des galeries et des musées
Cependant, depuis les années 30, un certain type de photographie s’est imposé. Plébiscité par le public des revues et des magazines, il s’agit de la photographie de reportage et de la photographie humaniste (dont le photographe Salgado serait encore l’un des plus éminents représentants aujourd’hui). C’est ce type d’images qui est popularisé par les agences de photographie, comme Magnum, par exemple.
Depuis les années 80, voire 90, d’abord furtivement, puis de plus en plus ouvertement – car rapidement soutenu par les institutions – émerge un nouveau courant. Il représente aujourd’hui ce que l’on appelle l’avant-garde. Nous parlons bien sûr de la photographie contemporaine ou plus précisément de la photographie plasticienne. Et c’est bien à une expression artistique totalement nouvelle et extrêmement complexe que nous faisons face.
Différente dans la perception artistique de ce que les écoles des beaux-arts enseignaient auparavant, elle est déroutante pour la majorité des personnes qui ne la pratique pas. Nous entrons avec elle dans un univers nouveau et hybride que nous essayerons de décrypter ensemble.
Tout un programme !